L’Union Européenne connait la crise la plus grave depuis sa création. Le Brexit pourrait faire école alors que la révolte gronde dans plusieurs pays de l’Union en Grèce, en Italie, en France, en Espagne, en Hongrie... Parallèlement, l’élection de Donald Trump entrainera sans doute un désengagement des Etats-Unis de l’OTAN en Europe et une normalisation progressive des relations avec la Russie. Pousser la Russie dans les bras de la Chine nuit aux Européens mais nuit aussi aux Etats-Unis pour qui la Chine constitue la menace principale menace. Ces transformations sont la conséquence de transformations de fonds au sein de nos sociétés. Nous vivons la transition de la fin d’un monde politique, économique et social issu de l’après-guerre et dominé de manière exponentielle depuis les années 80 par la globalisation financière accompagné d’un corpus idéologique de plus en plus rejeté dans la majorité du monde. Quel est le sens du rejet croissant de l’UE et de la globalisation libérale et en quoi pourrait-il ouvrir des opportunités pour une coopération pacifique sur l’ensemble du continent eurasiatique ?
Critiques radicales de l’UE et de la globalisation libérale
Le processus de « construction européenne » né au lendemain de la seconde guerre mondiale même s’il n’a jamais mobilisé les foules semblait faire l’objet au minimum d’un consensus politico-médiatique. Certes la forme et le but ultime de cette construction européenne n’ont jamais été clairement définis mais elle bénéficiait d’une triple justification : rejet des deux guerres mondiales et des horreurs du national-socialisme, nécessité de faire face au totalitarisme présent et au bloc soviétique, et enfin longue période de prospérité économique de l’après-guerre jusque dans les années soixante-dix. Les pays de l’Union Européenne vivent aujourd’hui une crise systémique grave, crise économique et sociale, crise migratoire, crise politique. A droite comme à gauche apparaissent des critiques radicales de l’Union Européenne et de la mondialisation libérale rejetées souvent ensemble, dans les milieux intellectuels, dans les populations et au sein de partis politiques qui connaissent des succès électoraux de plus en plus importants.
En Grèce, à gauche, Yanis Varoufakis, mathématicien et économiste ayant effectué ses études en Angleterre, spécialiste en économétrie (branche de la science économique qui a pour but de tester les modèles économiques) établit un lien direct entre la financiarisation de l’économie outil de l’hégémonie des Etats-Unis et l’évolution de l’Union Européenne. Il a été ministre des finances de Grèce de janvier 2015 au référendum du 5 juillet 2015 alors qu’il soutenait pourtant le non à la proposition faite par l’Union Européenne, la BCE et le FMI. Le non est sorti vainqueur avec 61,31% des voix et Varoufakis a été pourtant poussé à la démission par le premier ministre Tsirpas à l’origine du référendum, sacrifice permettant à la Grèce de se rapprocher de ses créanciers. Cette crise grecque est pour les critiques de l’Union Européenne emblématique de la dérive autoritaire de Bruxelles et de la globalisation libérale. Pour Jacques Sapir, économiste français issu de la gauche de la gauche, la dérive de l’UE illustré par le cas Grec est autoritaire, voire totalitaire. Jacques Sapir fait aussi le lien entre la politique de Bruxelles et les intérêts géopolitiques de Washington [...]
La Grèce constitue un pont spirituel et géographique entre l’Europe occidentale et l’Europe orientale et la Russie. Toujours à gauche, en Espagne, Pablo Iglésias, le dirigeant de PODEMOS, lors du discours qu'il a prononcé comme candidat du groupe de la Gauche Unitaire Européenne à la présidence du Parlement européen le 30 juin 2014, évoque également la dérive autoritaire de l’Union Européenne : «La démocratie, en Europe, a été victime d'une dérive autoritaire, (...) nos pays sont devenus des quasi-protectorats, de nouvelles colonies où des pouvoirs que personne n'a élus sont en train de détruire les droits sociaux et de menacer la cohésion sociale et politique de nos sociétés». Le mouvement Podemos n’est enregistré comme parti depuis seulement mars 2014 et a déjà connu une progression spectaculaire.
A droite, en Hongrie, Viktor Orban a évolué du libéralisme économique bienveillant vis-à-vis des Etats-Unis. Il devient premier ministre en 1998 à trente-cinq ans, en 1999 la Hongrie adhère à l’OTAN. Il reste premier ministre pendant quatre ans, jusqu’en 2002 et mène une politique libérale. De retour au pouvoir en 2010, il mène une politique conservatrice et l’assemblée nationale hongroise où le parti d’Orban, le Fidesz est majoritaire, adopte une nouvelle constitution faisant notamment référence aux racines chrétiennes de la Hongrie et affirmant le mariage entre un homme et une femme. Cette constitution conservatrice est rejetée en Hongrie à la fois par l’opposition socialiste et par l’extrême droite du Jobbik. En 2015, lors de la crise migratoire, la Hongrie est affectée plus que d’autres pays de l’UE par l’immigration illégale, l’agence européenne Frontex recense 100.000 entrées illégales en Hongrie entre janvier et juillet 2015 et le gouvernement hongrois décide de la construction d’une barrière entre la Hongrie et la Serbie. Parallèlement, la Hongrie d’Orban qui a pourtant beaucoup souffert du communisme et des agressions de la Russie soviétique se rapproche de Moscou et conclue avec elle des accords énergétiques en janvier 2014. Cette évolution provoque de fortes tensions avec Bruxelles, l’ancien commissaire européen actuellement député européen, Louis Michel propose de suspendre le vote de la Hongrie au Conseil européen et affirme que Viktor Orban « renie nos principes les plus fondamentaux ».
La politique de Viktor Orban s’accompagne d’un argumentaire s’opposant à ce qu’il appelle « le mainstream européen ». Dans son discours du 23 juillet 2016 à la 27e université de Baile Tusnand en Transylvanie, Viktor Orban essaye de définir les racines des problèmes européens : crise économique, crise des élites européennes et crise de la démocratie et d’ajouter « Le rétrécissement de la souveraineté nationale au profit des compétences européennes est pour moi un des plus grands dangers qui menacent l’Europe. Il y a des situations contre lesquelles Bruxelles est incapable de se défendre, mais nous autres, les Etats-nations, oui. C’est pourquoi toute orientation, toute action politique et toute initiative visant à retirer, expressément ou furtivement, des compétences aux Etats- nations doit être stoppée. Cette politique doit être arrêtée (...) Nous avons pris au moins trois mauvaises décisions au sein de l’Union européenne au cours des dernières années. La première est d’avoir accru les pouvoirs du Parlement européen. Bien loin d’améliorer l’efficacité des institutions européennes, cette décision l’a détériorée. La seconde mauvaise décision est d’avoir laissé la Commission européenne s’affirmer comme un acteur politique, contrairement au rôle que lui définit le Traite européen, à savoir qu’elle est la gardienne des Traites, ce qui implique une nature nécessairement neutre du point de vue politique (...) Apres tout cela et pour résumer, je ne peux que répéter que l’Europe a perdu son role global et qu’elle est devenue un acteur régional. Elle s’avère incapable de protéger ses propres citoyens, incapable de protéger ses propres frontières extérieures, incapable de maintenir la cohésion de sa communauté puisque le Royaume-Uni vient de la quitter. Que faut-il de plus pour conclure que la direction politique de l’Europe a échoué ? Ce sont les bureaucrates de Bruxelles qui représentent pour nous les obstacles, pas l’islam. L’islam, nous pourrions le gérer si on nous laissait le gérer de la manière que nous estimons appropriée. » En république Tchèque, parmi les conservateurs de droite, Vaclav Klaus président de la République de 2003 à 20013 est également connu pour son euroscepticisme.
Il a pris position contre la constitution européenne et contre la signature du traité de Lisbonne en 2009. Il critique comme Viktor Orban les « technocrates de Bruxelles » non élus et compare le fonctionnement des institutions européennes à celui de l’URSS mais il n’est toutefois pas pour une sortie de son pays de l’UE. Il est sur les questions sociétales sur une ligne similaire à celle de Viktor Orban et critique ouvertement la politique des quotas de l’Union Européenne et la politique d’ouverture migratoire d’Angela Merkel. Il a récemment publié un livre sur son analyse critique de la crise migratoire4. Dans une Serbie très contrôlée depuis les interventions de l’OTAN et la sécession du Kosovo où se trouve la base militaire extérieure états-unienne la plus importante au monde, le premier ministre Vučić et le président Nikolić mènent une politique pro-occidentale mais en même temps ils ont organisé la visite officielle de Vladimir Poutine le 16 octobre 2014 et refusent de participer aux sanctions antirusses. Le gouvernement serbe négocie activement son entrée dans l’UE et en parallèle veut conserver des relations privilégiées avec la Russie. La Serbie pourrait jouer le rôle qu’avait obtenu l’Autriche dans les années soixante, une plaque tournante stratégique entre l’Est et l’Ouest. D’autant plus que le président du « deuxième Etat serbe », la République Serbe de Bosnie (Republika Srpska), Milorad Dodik issu de la gauche, est beaucoup plus critique des évolutions récentes de l’UE, en 2014, il s’est interrogé sur les finalités des pays de l’UE qui ont poussé à l’abandon du Gazoduc South Stream qui aurait donné un rôle stratégique aux Serbes pour la redistribution du gaz russe entre l’Est et l’Ouest. Le président Dodik s’est récemment attiré les foudres du département d’Etat américain pour avoir organisé un référendum sur le maintien de la fête nationale serbe critiquée par les musulmans bosniaques. Il a pourtant été plébiscité par 99,80% des votants. Milorad Dodik avait rencontré la veille du référendum, le 24 septembre 2016, le président Poutine lors d’une visite officielle à Moscou. Les Etats-Unis et la Russie restent décidément très attentifs à ce qui concerne les Serbes.
En France, le Front National est pour une sortie de l’UE, économiquement sur une ligne très critique du néo-libéralisme et en politique étrangère pour un rééquilibrage des relations avec les Etats-Unis et pour un rapprochement avec la Russie. Il faut rappeler que cette ligne n’a pas toujours été celle du Front National puisque de sa création en 1972 jusque dans les années quatre-vingt-dix Jean-Marie Le Pen pensait, dans la filiation poujadiste, que « la vraie droite » rimait avec le « laisser faire » du libéralisme économique et militait pour un retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN ! Aujourd’hui le Front National de Marine Le Pen est paradoxalement, et à front renversé par rapport à ses positions initiales, sur une ligne gaullienne pour la politique étrangère, une ligne plus progressiste sur les questions sociétales avec un programme économique souvent classé à gauche et en ce qui concerne l’immigration sur une ligne intégrationniste plus proche des positions du RPR des années quatre-vingt que de l’opposition systématique à l’immigration extra-européenne qui l’avait caractérisé jusque-là. Cela dit le programme actuel du Front National, c’est à dire la combinaison d’une critique radicale de l’UE et de la globalisation libérale avec la critique des positions atlantistes de la France et la volonté de se rapprocher de la Russie fait du FN un parti que l’on peut qualifier d’antisystème, même après l’élection de Donald Trump, nous y reviendrons.
François Fillon qui a fait la surprise lors des primaires de la droite le mois dernier combine des éléments de remise en cause du « système » dans sa dimension géopolitique : position gaullienne classique en ce qui concerne la politique étrangère avec un libéralisme économique qui est une des caractéristiques de ce système. Il s’agit à mon sens d’une double contradiction qui se décantera sans doute d’elle même s’il accède à la fonction suprême :
- Contradiction entre une politique étrangère « antisystème » et une politique économique « pro-système ».
- Contradiction entre une ligne sociétale conservatrice type « manif pour tous » et un libéralisme économique qui a toujours anticipé voire accompagné le progressisme sociétal.Pour terminer cet éventail européen plus impressionniste qu’exhaustif de remise en cause de l’UE et de la globalisation libérale évoquons l’actuelle présidence de l’UE assurée par le président slovaque Robert Fico. Habituellement les présidences de l’UE sont discrètes mais Robert Fico demande moins de pouvoirs pour Bruxelles et rejette les quotas migratoires. Il est en cela en ligne avec ses partenaires du groupe de Visegrad : la Pologne, la Hongrie et la République Tchèque.Crise systémique, prémisses d’un nouveau système et renouveau des idées conservatrices
Une crise systémique peut provoquer l’effondrement d’un système. Il faut bien avoir conscience que nous ne sommes pas en train de rafistoler l’ancien monde mais de changer de monde, la crise n’est pas conjoncturelle mais structurelle. Et la crise du système a atteint un degré supérieur avec l’élection aux Etats-Unis de Donald Trump. Du jour au lendemain le centre de l’empire a été dissout. Pour Gabriel Robin5, ambassadeur de France interrogé par Régis Debray sur France Culture le 9 décembre 2016 la victoire de Trump est celle des nationalistes sur les impérialistes. Je ne m’étendrai pas sur le Brexit, déjà largement commenté mais il va de soi que la victoire de Trump conjuguée au Brexit aura de profondes conséquences européennes et internationales.
Le dimanche qui a suivi l’élection de Donald Trump la Bulgarie et la Moldavie ont élu deux présidents pro-russes. En Bulgarie le général de l’armée de l’air Roumen Radev soutenu par les socialistes a battu la candidate libérale favorable à l’UE. Le général Radev souhaite que son pays abandonne les sanctions contre la Russie qui avait beaucoup investi en Bulgarie. Dans l’ex république soviétique de Moldavie un candidat socialiste favorable au développement des relations avec la Russie a également été élu contre une candidate libérale, pro-européenne formée à Harvard et passée par la Banque Mondiale. Igor Dodon, le nouveau président bulgare voit en Vladimir Poutine un exemple qui « veut défendre les valeurs traditionnelles ». Cette thématique récurrente des valeurs traditionnelles parmi les critiques de l’UE et de la globalisation libérale n’est pas anodine. Certes on peut constater « la fin du consensus néo-libéral » avec Joseph Stiglitz, ancien économiste en chef de la banque mondiale et prix Nobel d’économie, mais il ne s’agit pas seulement d’une question d’économie. Pour Joseph Stiglitz « la crise de 2008 était vraiment une preuve des erreurs du néolibéralisme », il ajoute « Depuis un quart de siècle, il y a une compétition entre les pays en développement et les perdants apparaissent clairement : non seulement les pays qui ont adopté une politique néolibérale ont perdu la course à la croissance, mais quand il y a eu croissance, elle a bénéficié de manière disproportionnée aux plus riches. »
Ce qui est remis en cause depuis des années, et la montée des partis antisystème n’en est que la conséquence, pas la cause, c’est le postulat libéral de la réduction de l’homme à une dimension économique et financière ainsi que la concentration du pouvoir et de l’argent dans les mains d’une minorité dont la priorité n’est pas l’intérêt général. La recréation avec succès de solidarités locales (AMAP, économie sociale et solidaire, jardins partagés, tiers- lieux ancrés dans les territoires...) régionales, nationales est une tendance de fond de nos sociétés. Ces tendances et ces lieux privilégient la solidarité sur la concurrence, le social sur l’intérêt financier. Au niveau étatique et national nous assistons également, en opposition aux théories libérales, à l’émergence de « capitalismes nationaux » comme le constate Hervé Juvin (Chine, Russie, Brésil...) et dans le domaine théorique et académique à la légitimation du rôle économique de l’Etat. Les Français devraient d’ailleurs s’intéresser aux travaux de nos voisins italiens, comme ceux de l’économiste italienne et professeur d’innovation Mariana Mazzucato « The Entrepreneurial State: debunking public vs. private sector myths » publié en 2015 ou encore Luca Gallesi, « Il était une fois l’économie » publié en France en 2015. Luca Gallesi approche l’économie de manière littéraire et philosophique sur le financement de la monnaie par la dette qui triomphe dans le modèle libéral et conduit les sociétés à une augmentation des inégalités.
Nouvelle donne continentale et opportunités eurasiatiques
La victoire de Trump aux Etats-Unis et le Brexit ouvrent de nouvelles perspectives pour les pays de l’UE et pour le continent eurasiatique dans son ensemble. Tout d’abord parce qu’elles ont des conséquences concrètes sur nos relations avec « eux » et « entre nous ». Trump a annoncé vouloir entretenir des relations dépassionnées avec la Russie de Vladimir Poutine et souhaite également réduire la contribution des Etats-Unis à l’OTAN. En Asie centrale, le désengagement probable de Washington combiné au sentiment anti-américain devrait ouvrir des opportunités aux Russes et aux Chinois. Les grands pays de l’Europe occidentale France, Allemagne et Italie mais aussi l’Espagne ont pour les trois premiers une tradition de coopération avec la Russie et un rôle clé à jouer pour la redéfinition de nos relations. Le continent eurasiatique est désormais ouvert. Il nous faut mettre en place, sur ces bases économiques et politiques, une coopération stratégique entre les pays de l’UE ayant redéfinis leurs intérêts et la Russie d’une part et des ponts entre les intégrations économiques et culturelles européennes et eurasiatiques, d’autre part. Il nous faut surtout penser ensemble l’avenir du continent eurasiatique. La richesse de la pensée stratégique anglo-saxonne sur l’Eurasie (Mackinder, Homer Lea, Isaiah Bowman, Spykman, Kennan, Brzezinski, Kissinger...) fait écho à l’ignorance de nos élites sur les enjeux de cette coopération. Notons qu’il y a chez les premiers eurasistes russes (N. Troubetskoï, P. Savitsky, N. Alexeïev...) une critique de l’Occident niveleur qui fait écho à certaines critiques actuelles de l’UE et de la globalisation. Ces premiers eurasistes sont proches sur beaucoup de points des traditionalistes européens. Ils considèrent que la Russie doit faire le pont entre l’Europe occidentale et l’Asie dans la mesure où la Russie est eurasiatique par nature. Elle est européenne en ce qu’elle est chrétienne mais dans la forme orientale du christianisme, elle est asiatique dans la mesure où sur le modèle de l’empire mongol elle a su contrôler le plus vaste empire ayant jamais existé.
Le travail que nous avons effectué sur l’axe Paris Berlin Moscou était dès l’origine pensé d’une part comme le moteur non exclusif de la plus grande Europe continentale et d’autre part comme le pont vers l’Asie et le monde pacifique principalement par ce rôle de ferment eurasiatique joué par la Russie. Les transports et plus particulièrement les transports ferroviaires peuvent jouer un rôle clé dans ce développement eurasiatique comme nous l’avons souvent souligné et développé.
La Sibérie orientale riche en ressource et sous peuplée en Russes est petit à petit colonisée par des Chinois. Ce territoire reste un enjeu majeur pour la Russie et un terrain potentiel de coopération stratégique entre les pays de l’UE et la Russie.
Aujourd’hui les structures intergouvernementales eurasiatiques sont principalement :
- L’Union Economique Eurasiatique regroupant la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, et l’Arménie (le Tadjikistan est candidat) qui succède en 2015 à la Communauté Economique Eurasiatique. Les présidents Poutine et Nazarbaïev font de cette intégration principalement politique et économique, référence à l’intégration européenne.
- L’Organisation de Coopération de Shangaï (OCS, ШОС en russe) regroupe la Chine (pays le plus peuplé du monde) et la Russie (pays le plus vaste du monde), le Kazakhstan, l'Inde, le Pakistan... Depuis la conférence d’Astana de 2014 la coopération s’étend à la lutte contre le séparatisme, le terrorisme et l’extrémisme islamiste. L’OCS s’est aussi fixé pour objectif de lutter contre l'impérialisme des États-Unis en exigeant notamment la fermeture des bases américaines dans la région.Les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ne sont pas une organisation strictement eurasiatique mais aussi transatlantique, le refus affiché d’utiliser le dollar est très important et pourrait ouvrir des pistes à une plus vaste coopération eurasiatique incluant les pays de l’UE.Nous pourrions aussi dans cette perspective de dialogue eurasiatique donner un rôle moteur à l’OSCE qui pour le moment se limite à la surveillance des élections, à la promotion des droits de l’homme et de l’Etat de droit. Nous pourrions lui donner un rôle politique et militaire accru en renforçant les activités de maintien de la paix. Nous oublions trop souvent que ces missions avaient d’ailleurs été confiées à l’OSCE dans les années quatre-vingt-dix. Ce volet n’a jamais été pleinement joué de peur que l’OSCE concurrence l’OTAN. A l’heure d’un désengagement possible des Etats-Unis de l’OTAN il serait pertinent de donner un rôle politique et militaire accru à l’OSCE, structure de laquelle Washington fait d’ailleurs partie.
Par exemple dans le Donbass, l’OTAN ni même l’UE ne seraient acceptées alors que l’OSCE l’est mais manque pour le moment de moyens.
Les pays de l’Union Européenne pourraient aussi peser ensemble pour relancer le processus d’adhésion de la Russie à l’OCDE, contrairement à la conception du président Obama, la Russie compte économiquement même si ses structures sociales, économiques et industrielles ne sont pas comparables à celles des pays occidentaux.
Le 4 novembre 2016, le Forum Carolus et ses partenaires ont organisé au Conseil de l’Europe, à Strasbourg une conférence débat réunissant 250 participants avec Andrei Gromyko, directeur de l’Institut Européen de l’Académie des Sciences et petit-fils du célèbre ministre soviétique des affaires étrangères. Sur proposition conjointes d’Andrei Gromyko et de moi-même, les partenaires de cet événement ont décidé d’organiser ensemble un colloque sur les complémentarités entre les intégrations de l’UE et les structures d’intégration eurasiatiques. Les partenaires de l’Institut dirigé par Andreï Gromyko et du Forum Carolus pour cet événement sont le cercle de la Cathédrale présidé par Henri Mathian, l’association Rhin-Volga, la représentation permanente russe auprès du Conseil de l’Europe ainsi que le consulat général russe à Strasbourg et enfin la Fondation GIPRI de Genève (Institut International de Recherches pour la Paix) présidée par Gabriel Galice. D’une manière générale, il est important de mettre en réseau les groupes de réflexions et autres think tanks au sein des pays de l’UE avec les organismes russes et eurasiatiques travaillant dans une même perspective.
La remise en cause croissante de l’Union Européenne et de la globalisation libérale à l’œuvre au sein même des pays de l’UE rejoint sur beaucoup de points le renouveau conservateur de la Russie. Aujourd’hui, la Russie se fait le porte-parole des partisans d’un monde multipolaire jadis voulu par le Général de Gaulle. La principale structure intergouvernementale eurasiatique, l’Organisation de Coopération de Shangaï rejette aussi explicitement l’impérialisme américain dont une page vient d’être tournée avec l’élection de Trump. La politique étrangère prônée par Bruxelles et dominante au sein des pays de l’UE aboutit à une sortie de l’histoire de l’Europe occidentale et à la diabolisation d’une Russie avec laquelle nous partageons pourtant des intérêts stratégiques et culturels communs. Sachons saisir l’opportunité de cette nouvelle donne pour redéfinir notre relation aux Etats-Unis et pour construire sur le continent eurasiatique un avenir de paix, de prospérité, de solidarité et de maitrise de notre destin.
Henri de Grossouvre
(Article paru dans la Revue Politique et Parlementaire de janvier-mars 2017, N°1082)